interview de RENAUD HANDSON
Avec la sortie de “Sex Opera”, dernier chapitre du triptyque sur les addictions (dont vous pouvez retrouver la chronique ici), il nous semblait important d’évoquer la conception de cet album avec Renaud Hanson, fondateur de Satan Jokers, et véritable légende du hard rock français…
Wazbones : l’album « Sex Opera » vient de sortir. Il s’agit du troisième volet de la trilogie des addictions, que tu évoques déjà quasiment depuis la sortie du précédent. A quel moment est venue l’idée initiale de cet album concept ?
Renaud Hantson : Dans nos esprits malades (du docteur Karila et moi même), il a plus ou moins toujours été question de finaliser un triptyque. C’est à dire que l’idée était de boucler la boucle. L’album « Psychiatric » était assez hermétique et ne pouvait pas être la fin de notre collaboration, celle ci n’ayant d’ailleurs jamais été réellement évoquée. De mon coté, ça fait un moment que je voulais mettre Satan Jokers en sommeil, puisque j’y pensais déjà après l’album « Fetish-X », mais c’était quand même assez idiot de s’arrêter après un album aussi complexe que « Psychiatric », même s’il y avait déjà un DVD dedans qui retracait toutes les périodes du groupe et qui était une assez belle réussite. On a donc décidé de boucler la boucle en abordant la deuxième addiction de ma vie, à savoir les perversions et déviations sexuelles. On ne va pas aller jusqu’à dire que je déviant ou pervers, mais ça occupe beaucoup mes pensées. Quelque part, ma rencontre avec les substances a correspondu à une lassitude vis à vis de la sexualité normale, et ça retrace quelque part le trajet du sexaholic, le héros principal du casting de cet opéra rock. Il se perd dans cette sexualité débridée qui en fait fait véritablement un suicide sexuel.
Tu parlais de ta volonté de mettre le groupe en sommeil. Aujourd’hui, tu n’as pas été très clair mais tu as à nouveau laissé entendre que « sex opéra » pourrait être le dernier album de Satan Jokers.
Je vais te répondre tout de suite : je ne dirai plus jamais jamais… Avec ce groupe, on ne peut pas savoir et Karila a déjà annoncé haut et fort qu’il avait une idée pour la suite. Je ne dis donc plus rien car je n’ai pas envie d’être ridicule comme d’autres qui ont annoncé leur dernière tournée ou album… Je préfère fermer ma gueule, même si je pense qu’il faudrait partir avec la plus belle réussite de Satan Jokers à ce jour. J’aime la boxe et les arts martiaux, j’adorais Mike Tyson, qui a dit dans son autobiographie « j’étais un artiste de la rechute ». Cette phrase me parle horriblement. Je pense qu’il ne faudrait pas faire le combat de trop. Ce nouvel album ayant encore élevé la barre de ce qu’on sait faire en essayant ce qu’aucun autre groupe de hard rock français n’avait fait auparavant, à savoir un opéra rock, je pense qu’il faudrait savoir s’arrêter. Maintenant, si une idée est brillante, qu’on a des idées de musique, que c’est aussi fort que ce dernier album, alors je préfère me taire et laisser le temps donner la réponse.
Parle nous des musiciens invités qu’on peut retrouver sur l’album. Comment s’est passée la sélection des guests ? Ont ils tous accepté ton invitation ?
Il y a un personnage qui a été conçu par laurent pour une personne très précise : il s’agit de King Sodom. Laurent voulait absolument que ça soit Stéphane Buriez. Il a écrit les textes en pensant à lui. Stephane et moi nous respectons beaucoup, dans des styles différentes et complémentaires. Ca a été une vraie rigolade de le faire en studio avec lui : en 1h15, il avait réglé l’histoire. C’est un vrai professionnel, un mec de studio autant que de live. Il connait bien le sujet, c’est un très bon producteur de disque. Il m’a fait totalement confiance. Il m’a envoyé un message quand il a entendu le mixage, en me disant, à peu près, « ça sonne de sa mère la pute » (rires). Enfin, c’était peut être pas ces mots là, mais le sens était le même (rires). Puis il a ajouté « heureux et fier d’avoir participé à ce projet ». Et quand un mec comme Buriez, avec le parcours qu’il a, te dit ça, tu te dis ok, on est sur la bonne direction niveau mixage. Ensuite, pour les autres invités, ce sont des gens à qui j’ai pensé personnellement.
J’ai rencontré Virginie Goncalves du groupe Kells à Lyon. j’adore les clips de Kells qui sont très bien réalisés. Virginie peut chanter aussi bien de la variété, de la soul ou du rock, et ce genre de voix m’intéresse.
Celine Lacroix de Sainte Ombre, je l’avais rencontré à Nantes, lors d’un de mes concerts. Je lui ai demandé de faire du Dio au féminin. Il faut savoir que chaque invité enregistrait dans son home studio personnel, donc ça a été un vrai travail de compréhension téléphonique . Je lui donnais des indications assez précises, sachant qu’en même temps, j’aime bien parler d’égal à égal avec les gens, j’essayais de lui laisser aussi un espace de liberté pour qu’elle puisse s’exprimer, même si les lignes mélodiques étaient déjà très structurées et prêtes. Je voulais quand même laisser une espace pour le grain, la texture, et l’interprétation, sachant malgré tout que j’avais une direction précise de ce que je souhaitais entendre.
Initialement, je pensais aussi à une fille qui a fait the Voice, qui s’est faite jetée en une semaine. Elle ne voulait pas jouer le personnage du transsexuel dans Satan Jokers. Elle pensait que c’était trop sulfureux et que ça allait gêner sa carrière. Je lui ai répondu très simplement que pour parler de carrière, il fallait déjà en avoir une…
Pour les autres invités, ce sont tous des potes : Boban Milosevic de Snake Eye, Fred Le Tazz de Black Bear Fury, Olivier Del Valle de Shannon : ce sont tous des groupes que j’aime et ce sont des textures de voix qui m’intéressaient pour jouer les voyeurs qui m’initient au sexe sur internet.
Ensuite on a deux guests sur une chanson que je trouve vraiment réussie : « Royaume Décadence ». On a Walther Gallay de Café Bertrand qui n’est pas un chanteur de metal, car beaucoup plus proche de l’univers de Bertrand Cantat, et je trouvais vraiment intéressant d’avoir un trio avec lui ainsi qu’avec un autre mec que j’adore, qui est comme moi un ancien batteur : Jo Amore de Nightmare.
La cerise sur le gâteau a été Brigitte Lahaie, la star porno des années 80, qui aujourd’hui est une animatrice vedette sur RMC, qui nous a dit oui tout de suite, qui a tenue sa parole et qui a été parfaite dans le rôle de narratrice.
Et puis on a les 4 plus gros guitaristes français du moment : Patrick Rondat, qui a été le premier à dire oui, Christophe Godin de Mörglbl, qui nous a envoyé son solo d’une chambre d’hôtel pendant qu’il était en tournée, Sébastien Bizeul, qui est un jeune guitariste que tout le monde va bientôt connaitre, qui joue sur « Promis », le premier clip extrait de l’album, et Gildas Arzel, le chanteur guitariste du groupe Canada, dont j’adore la voix, mais qui ne chante que ses propres textes. C’est lui qui fait le solo sur la chanson finale, VIP-HIV, qui pour moi est la chanson la plus tragique de la carrière de Satan Jokers, et qui est une des raisons pour lesquelles j’aimerai m’arrêter là, car le personnage central va vers la mort. En même temps, j’ai pas envie de jouer les maniaco dépressifs…
Puisque tu parles de cette chanson, pourquoi se trouve-t-elle après l’outro, en toute fin d’album ?
L’outro signifie l’introduction de la fin. Là, c’est la liaison narrative qui explique que le personnage s’est suicidé au sexe et que de toute façon il est condamné. Il était donc nécessaire d’avoir une chanson finale sur l’album. VIP HIV est donc la réelle dernière chanson. Il a un sida qui ne sera pas guérissable : c’est trop tard pour lui… Bon, je rassure tout le monde, ce n’est pas mon cas, je ne suis pas séropositif. Cela dit, le personnage n’est, par moment, pas très éloigné de ce que j’ai pu être parfois.
Concernant les invités, et puisqu’on évoquait Jo Amore de Nightmare, on s’attendait peut être à voir plus de chanteurs de la vague du hard rock français des 80’s, avec qui tu avais partagé l’affiche lors du fameux festival de Choisy le roi en 1985. Où te situes-tu par rapport à cette vague musicale ?
Ma seule déception sur l’album est que les deux guitaristes de Trust, Nono et Vivi, ont disparu dans la nature quelques jours avant qu’il soit nécessaire qu’ils me renvoient un solo. Norbert a été le premier que j’ai contacté. Il me glisse ensuite entre les doigts en me disant qu’il ne pourra finalement pas le faire. J’ai appris après coup qu’il est coutumier du fait sur d’autres projets. Il dit oui, puis part par une porte dérobée… Moi je ne demande qu’à le croire, mais s’il ne souhaitait pas le faire, il suffisait qu’il me dise non, ça aurait été plus simple. Vivi est parti en tournée en Australie avec Koritni au moment où il devait m’envoyer son solo et après, il me dit partir en vacances 3 semaines. C’est donc sans doute le seul mec au monde à partir en vacances 3 semaines au mois de mai (rires) … Enfin, j’ai fait un très beau mail à quelqu’un avec qui j’aurai vraiment voulu faire un duo et je pensais bien entendu à la première chanson de l’album qui s’appelle « Préliminaires à l’infini » qui a vraiment un son à la Trust, et il faut rendre à césar ce qui appartient à césar. Si j’ai fait du hard rock en français, c’est parce que j’ai entendu Trust, donc je n’assassine absolument pas les trois personnes qui ne sont pas, à l’arrivée, sur l’album, pour des raisons diverses et variées. Album, qui, je les rassure, est un succès sans eux. Au final, Bernie, puisqu’il s’agit de lui, n’a même pas répondu au mail, il ne m’a pas appelé. Chacun a sa façon de concevoir cette profession et sa carrière. Chacun a son élégance et sa délicatesse… Moi, j’aurai dit non si je ne voulais pas le faire. Je prend au moins une minute pour l’expliquer et indiquer que je ne souhaite pas participer à ce projet. Donc pour moi, l’absence au niveau des groupes des années 80 se situe au niveau de ceux qui m’ont donné envie de faire du hard rock en français. Pour le reste, je ne suis pas branché hard rock des 80’s car Satan Jokers n’est plus un groupes des 80’s. C’est un groupe qui fait de nouveau avancer les choses comme dans les 80’s, c’est un groupe à la pointe des idées, mais ça me parait normal quand on a Mulot à la basse, Zurita à la guitare et Aurel à la batterie. C’est un peu une dream team, comme disent les journalistes… Si c’était pour faire du hard rock des 80’s , je n’aurai pas remonté Satan Jokers, ça ne m’intéresse pas. A la limite, Furious Zoo lorgne plus vers les années 80 que Satan Jokers…
Abordons l’aspect musical de Sex Opera. Je le trouve plus accessible que le précédent. Ca reste très moderne, mais pour la première fois, on retrouve véritablement des sensations qu’on avait pu découvrir sur les premiers albums.
On a été les premiers dans ce pays à essayer d’inclure des ingrédients de hard FM dans notre metal fusion. Des l’album « Trop fou pour toi », on avait intégré ces éléments FM, presque pop. Pour ce nouvel album, je tenais vraiment à avoir des refrains très catchy, d’où mon envie de faire intervenir des songwriters extérieurs. On aurait pu tout faire nous mêmes, mais j’ai pensé que ça serait intéressant. J’ai attaqué très vite de mon coté l’écriture de l’album avant de dire au reste du groupe de s’y mettre. Etrangement, c’est l’apport des diverses écritures qui a fait que c’est l’album le plus proche du Satan Jokers des 80’s au niveau des mélodies et des refrains. C’était aussi un but non avoué. Comme dans ma tête je partais comme si c’était le dernier album, je voulais faire plaisir aux adeptes purs et durs de ce groupe en allant le plus possible dans la démarche de leur faire remémorer le groupe à ses origines. Ca peut sembler confus que des mecs extérieurs au groupe amènent au contraire cette patte, mais ces songwriters connaissent le Satan Jokers des débuts (sauf un, paradoxalement, qui est trop jeune).
Effectivement, je vois en Sex Opera un véritable album somme de tout ce qu’a fait Satan Jokers depuis ses débuts.
Je te remercie. Moi, en tout cas, je le vois comme tel…C’est l’album qui synthétise le plus le travail que j’essaye de faire avec Satan Jokers et le concept même de ce groupe, même si je sais que nous ne ferons jamais l’unanimité. Satan Jokers n’a jamais fait l’unanimité de toute façon, ce que j’ai finalement voulu toute ma vie, car j’adore batailler avec les imbéciles…
On évoquait ton autre groupe, Fuirons Zoo. Tu mènes aussi ta carrière solo en parallèle. Comment est que tu arrives à trier, en terme de force créatrice, tes idées en te partageant entre ces projets ?
Je viens de finir mon troisième livre, qui est un roman qui s’appelle « Rockstar, 48h d’une vie rêvée », qui explique par A + B qu’une vie de vedette ou de rock star n’est absolument pas une vie rêvée, au contraire. Je suis en train, parallèlement, de retranscrire cette histoire en spectacle musical, qui sera aussi mon prochain album solo, avec plein de guests. Je vais d’ailleurs essayer de brancher tous les gens que j’aime dans la pop music et dans le rock pour ce projet. J’en suis déjà à 22 chansons, sachant que 8 titres viennent d’albums précédents, dont 2 de l’album « AddictionS » de Satan Jokers, car de toute façon, je ne pouvais pas faire mieux que « Docteur Vice » pour la scène avec le dealer. Je l’ai donc récupérée et réarrangée. La scène de défonce se fera sur le titre « Euphorie ». Ces chansons là ne pouvaient pas rester dans les tiroirs. Ca fait 25 ans que je souhaite écrire mon opéra rock dans ma carrière solo, depuis que j’ai participé à Starmania… C’est le travail d’une vie, et je ne vois pas ce que je pourrai faire de plus après ça. A 51 ans, c’est maintenant qu’il faut que j’y mette toute mon implication et ma motivation. Rockstar sera l’aboutissement d’une vie.
Pour revenir à ta question sur le « comment switcher » entre mes projets : à l’écriture d’un titre, je sais si le morceau ira à Satan Jokers, Furious Zoo ou ma carrière solo. Je change de « mode » au moment de l’écriture, c’est aussi simple que ça. Cependant, Rockstar va, pour la première fois, réunifier tous les genres. C’est très pop, car j’ai écris les chansons au piano pour la plupart, mais la façon dont on va les jouer en studio sera rock et opératique en même temps. Ca sera très proche de la démarche du disque « Opera Rock » où je reprenais des chansons de comédies musicales. Ca sera donc entre la pop et le rock, soit ce que j’ai finalement toujours été, et je ne l’ai jamais caché. Et c’est ce qui fait qu’il y a toujours eu 4-5 intégristes du milieu metal qui ont la dent dure avec Satan Jokers car ils ne comprennent pas qu’on puisse aimer plusieurs musiques. Peut être que eux n’arrivent à manger que des frites dans leur vie, mais moi, j’aime bien varier et manger autre chose. Je vais pas me contenter d’une blonde si je peux avoir une brune… non, je plaisante (rires).
Et « Rockstar » devrait sortir…
… En 2015 si tout se goupille bien.
Une dernière question. Après l’album AddictionS », vous aviez joué l’intégralité de l’album sur scène..
… Je t’arrête tout de suite, on ne pourra pas le faire cette fois ci. C’est mort pour une raison très simple. Les personnages ont été conçus avec tel ou tel artiste. Et réunir tous ces gens là sur une scène pour un seul et même soir est absolument ingérable niveau planning. Bien sur, on pourrait prendre des doublures avec un peu les mêmes textures de voix, mais ça ne serait pas la même chose. Si on se retrouve sur la même affiche que Sainte Ombre, par exemple, Céline viendra bien évidemment faire « Professionnelle » avec Satan Jokers sur scène. Mais ça ne dépassera pas ce cadre là, car c’est trop compliqué. Ce qu’on fera, c’est qu’on intègrera 7-8 chansons de l’album aux concerts, comme un fil conducteur, mais on ne le fera pas dans un sens opératique, comme on l’avait fait à l’époque pour « AddictionS », qui était une démarche assez gonflée. C’était typiquement Satan Jokers, parce que c’était gonflé justement. D’ailleurs, le dernier éventuel projet qu’on aurait à réaliser serait de jouer intégralement l’album « Les fils du metal » en live. Un album de 1983 joué par le line up de 2014 prouverait aussi que Satan Jokers était déjà moderne à l’époque. On verra si on le fait ou pas. L’idée a en tout cas été lancée au sein du groupe…
Ce serait aussi le moment d’immortaliser le tout sur un nouveau DVD live…
Oui, mais en même temps, on ne peut plus dire qu’il n’y a pas ce qu’il faut sur ce terrain là pour Satan Jokers : entre le DVD sorti avec « Psychiatric » et le documentaire présent avec « Sex Opera », qui est une espèce de « Behind the music » comme on en voyait sur VH1. On verra donc pour un éventuel prochain DVD. Le temps donnera les réponses pour beaucoup de choses concernant Satan Jokers. On va déjà défendre l’album sur scène cette année en multipliant les concerts.
Merci Renaud !
Merci, à très bientôt !
SOURCE .. HEAVYLAW
a titre perso je trouve cette interview très intéressante , j’espère juste qu'il reviendra sur sa décision de mettre le groupe en sommeil , j'espère aussi que le prochain SATAN JOKERS ,si il y en a un un jour sera plus simple dans le style du SJ 2009 .