Hellfest, les raisons d’un succès d’enfer
Le Hellfest, dont la 13e édition a lieu du 22 au 24 juin à Clisson (44) est devenu le plus gros budget des festivals de France. Ben Barbaud, son fondateur, explique les raisons de ce succès
Le Hellfest est bien le festival des extrêmes. 180 000 personnes sur trois jours, c’est certes moins que les 280 000 des Vieilles Charrues, mais c’est bien la grand messe metal de Clisson (44) qui affiche le plus gros budget (23 millions d’euros), le plus grand nombre de groupes (entre 140 et 170 selon les éditions), le pass 3 jours le plus cher (200 euros) et ne parlons même pas des litres de bière écoulés (350 000 litres en 2017).
Alors quel est le secret de la réussite du Hellfest pourtant titillé depuis deux ans par le mastodonte américain Live Nation organisateur du Download Festival ?
Réponse avec Ben Barbaud, 36 ans, fondateur et patron du festival de l’enfer.
Sud Ouest._ 13e édition, peut-on dire que le Hellfest a trouvé sa vitesse de croisière ?
Ben Barbaud. Cela fait quelques années que l’on a trouvé notre rythme. On a trouvé notre modèle économique dénué de toute subvention et on a cette chance contrairement à tous nos collègues, de pouvoir vendre l’intégralité de notre billetterie sans avoir annoncé un seul groupe. Cela change la donne. Ce n’est plus le même travail qu’au début et c’est une chance car cela nous permet de travailler sur un budget connu, cela nous permet de faire les investissements que le public est en droit d’attendre de nous.
Comment le festival peut-il évoluer dans les années à venir ?
Le but c’est de pérenniser les acquis du festival. Et pour cela il faut donner au public ce qu’il est en droit d’attendre car nous restons le festival le plus cher de France. Le festivalier qui arrive chez nous il faut qu’il en prenne plein les oreilles mais aussi plein les yeux et que chaque année on puisse lui apporter des nouveautés.
L’avantage du Hellfest c’est que c’est un modèle associatif. Au contraire de beaucoup d’autres événements où l’objectif est à court ou long terme la recherche de profit, chez nous chaque euro gagné est réinvesti dans le festival. L’autre avantage c’est que même si nous ne sommes pas propriétaires des terrains, on a la possibilité de faire des travaux pérennes qui font la qualité des infrastructures du Hellfest. Aujourd’hui au Hellfest on est plus proches d’un parc d’attractions que d’un champ à vaches transformé avec quelques tentes pour accueillir du public. Plus de 15 millions d’euros ont été investis ces dernières années pour la construction du site. Cela va de la construction de routes à l’installation de la fibre internet ou la mise en place de pipelines de bière pour alimenter tous les bars. Tous ces travaux visent à améliorer l’accueil du public et c’est ce qui, je pense, contribue à fidéliser le public.
Le Hellfest a un public très fidèle. Est-ce que ce public se renouvelle ?
Il y a une part de renouvellement importante, mais on a une grosse partie de gens très fidèles pour qui le Hellfest est l’occasion de passer un week-end hors du temps, de se couper du quotidien. Quand on met les pieds au Hellfest, on a vraiment l’impression de se retrouver dans un monde parallèle, dans quelque chose de complètement différent, grâce à toute la scénographie mise en place sur le festival. Alors on nous moque parfois en disant que nous sommes le Disneyland du metal, mais je pense qu’il y a beaucoup de gens qui viennent chercher ce côté là, parce que c’est impressionnant à voir et que ça leur permet de se couper de la réalité.
Considérez-vous le Download Festival (1) comme un concurrent ?
Quand ils ont vu le succès du Hellfest, ils se sont dit qu’il y avait de la place pour un autre festival et qu’il y avait un créneau à prendre. Mais de mon point de vue, ce qu’il n’ont pas bien compris, c’est qu’il ne suffit pas d’empiler les artistes sur des scènes, se planquer dans un champ en mettant les scènes dans le fond, les frites à droite et les bars à gauche que l’on réussit à fidéliser des festivaliers, que l’on réussit à monter un événement à succès et donc que l’on réussit à long terme éventuellement à faire du profit.
Je considère que ce sont des sociétés qui font un autre métier que le nôtre, où la recherche de profit est le but premier, alors que lorsque l’on monte un festival de ce type, cela prend du temps et le succès ne doit pas être le but premier mais la conséquence du travail bien fait.
Alors non, la concurrence du Download ne nous dérange pas, même si il y a évidemment une petite bataille au niveau des artistes. La force de frappe d’une société comme Live Nation, c’est d’être en mesure de conclure ce que l’on appelle des deals globaux : ’est à dire d’acheter la tournée d’un artiste sur toute l’Europe. Lorsque Live Nation fait ce genre de deal, l’artiste nous passe sous le nez. On le regrette, mais on n’a pas d’inquiétudes aujourd’hui même si j’ai bien conscience que l’avenir de structures associatives comme la nôtre pourrait être difficile avec l’arrivée de ces multinationales.
Cette concurrence contribue à faire monter les enchères sur les cachets des groupes (2) ?
Oui, mais quand je dis que l’arrivée de Live Nation change la donne au niveau des cachets des artistes, ça serait faux de dire que c‘est uniquement de leur faute. Je suis aussi là pour préserver mon pré carré mais je ne vais pas jouer Caliméro en disant que je suis un festival sans moyens. Alors moi aussi sur certains artistes je montre les armes et je ne vais pas dire que moi aussi je ne demande pas des exclusivités. Et inévitablement, le fait de demander ce genre de choses ça débouche sur des prix qui sont plus importants. Donc moi aussi je participe à la surenchère. Sauf que je ne peux pas dépenser l’argent que je n’ai pas. Donc pour certains artistes je n’ai pas les moyens de lutter.
A combien s’élève le budget du festival ?
Nous sommes le festival avec le plus gros chiffre d’affaires de France, toutes musiques confondues. On entend souvent dire que les Vieilles Charrues c’est le plus gros festival de France, mais les Charrues c’est entre 15 et 16 millions de budget tandis que le Hellfest va dépasser les 23 millions. Et la totalité de nos subventions s’élève à 20 000 euros, ce qui n’est vraiment pas grand chose dans le budget total.
Il y a deux ans vous avez refusé la subvention du Conseil régional qui vous avait demandé de déprogrammer un artiste (3) ? Quelles sont vos relations aujourd’hui ?
C’est toujours distant. On est sur une esthétique musicale qui attire les foudres d’une minorité à tendance disons intégriste… Or les politiques, ils veulent se fâcher avec le moins de monde possible. Ils n’ont pas envie de se fâcher avec le Hellfest car le Hellfest est une superbe vitrine pour la région, mais on les sent très frileux car ils se disent que s’ils s’engagent à 100% derrière le Hellfest il va y avoir ces intégristes qui vont faire du bruit.
Et les politiques n’aiment pas quand ça fait du bruit. Alors ils viennent tous au Hellfest en invités en disant que c’est super, mais comme nous sommes sur cette esthétique qui dérange toujours un peu, les politiques hésitent à s’engager.
Et finalement ça m’arrange parce qu’a contrario d’autres événements qui sont parfois liés avec les collectivités et auxquels on impose des programmations, des listes d’invitation à rallonge, le Hellfest c’est un événement indépendant qui fait ce qu’il veut et quand il en a envie.
Certains vous reprochent de programmer toujours les mêmes groupes. Est-ce que le Hellfest n’a pas aussi vocation à soutenir les groupes émergents ?
On l’a toujours fait. On a même été pionniers. Nous sommes certes le festival le plus cher de France, mais le seul festival qui propose 170 artistes par an. Les gens ont peut-être tendance à se focaliser sur les noms en haut de l’affiche en disant Iron Maiden repasse, il y a encore Kiss, encore Scorpions, sauf que chaque année c’est 50% de ces 170 artistes qui passent pour la première fois au Hellfest. Donc ceux qui disent que ce sont toujours les mêmes groupes au Hellfest, sont ceux qui ne regardent que les grosses têtes d’affiche.
Des groupes qui passent toute l’année dans des vans pourris à aller dans des bars devant 50 personnes, il y en a plein au Hellfest. Mais ça demande peut-être un peu de curiosité de la part du public. Aujourd’hui il a 7 scènes sur le festival et l’ensemble des sept scènes sont remplies à chaque concert.
Prenons l’exemple de Ghost qui est le groupe qui cartonne le plus actuellement sur la scène metal. C’est un groupe qui a été programmé il y a plus de 7 ans au Hellfest à 15 heures sous une tente. Mais comme dans tout festival, les gens se focalisent souvent sur les têtes d’affiche et il est vrai que ces noms là, dans le metal, sont assez redondants. Mais quand on prend le temps de découvrir la programmation, on s’aperçoit que pour plus de 80 artistes ce sera leur première participation au Hellfest. 80 artistes c’est l’équivalent de Garorock, des Eurockéennes ou de Rock en Seine. Donc c’est comme si on pouvait découvrir un nouveau festival tous les ans.
(1) Organisé par la multinationale californienne Live Nation, le Download Festival existe dans sa version britannique depuis 2003 et dans sa version française depuis 2016. Il programme de nombreux groupes présents également au Hellfest.
(2) Dans une interview à Radio Metal en 2017, Ben Barbaud expliquait que le cachet d’Iron Maiden s’élevait à 1,2 millions d’euros.
(3) En 2016, Phil Anselmo, ancien chanteur du groupe Pantera, effectue sur scène un salut nazi en étant visiblement dans un état second. Ben Barbaud condamne le comportement du chanteur de Down qui doit jouer au Hellfest mais refuse de déprogrammer le groupe à la demande de Bruno Rétailleau (LR) le président du Conseil régional des Pays de Loire. Barbaud renvoie sa subvention de 20 000 euros au Conseil régional. La tournée européenne de Down sera finalement annulée.